Rebel Bricoleur

Entre Désobéissance et Anarchie

Les crises stimulent la créativité. Alors que le Canton de Genève souffre d'une grave pénurie de logements dans les années 1970, un jeune père de famille résout le problème de sa propre initiative. Dans Marcel Lachat, Leïla el-Wakil dresse le portrait d'un homme qui se définit comme un «anarchitecte» et appelle la jeune génération à être plus résolument désobéissante.

1 Le groupe Bélier est un mouvement autonomiste jurassien fondé le 22 juin 1962 par de jeunes séparatistes. Il mène des actions-choc pour forcer la Confédération et le Canton de Berne à se pencher sur la question jurassienne.

2 Alice’s Adventures in Wonderland est un roman de Lewis Caroll publié en 1965 qui est un pied-de-nez satirique à la logique. Alice, l’héroïne principale, découvre un monde parallèle merveilleux après avoir suivi un lapin dans son terrier.

Saut à l'élastique

English Version

La rubrique de l’annuaire électronique search.ch situe Marcel Lachat au n° 118 route des Tournettes à Troinex, aux confins du canton de Genève et à un jet de pierre de la frontière française. Selon cet annuaire le dénommé Lachat gère une «boutique de loisirs créatifs», qualifiée selon local.ch d’entreprise de «bricolage à Troinex». Voilà qui pose le décor du territoire sur lequel règne en maître le bricoleur rebelle qui nous reçoit sans façon, en tongs et short, au cœur d’un mois d’août caniculaire.

Originaire du Jura l’homme s’est forgé une personnalité de résistant après avoir été élevé dans un milieu familial qui militait pour l’indépendance du canton. Lui-même a fait partie du groupe Bélier.1 Il se dit «anarchitecte», bâtisseur ou innovateur ou essayiste. Lorsque je l’amorce sur le sujet de la désobéissance en architecture, il répond aussitôt: «Moi c’est tout à fait ça. Toute ma vie j’ai été poussé à désobéir. Je vais vous expliquer pourquoi. Je suis le fils d’un douanier. Donc les douaniers ça fait partie du département militaire, donc ils doivent… ils n’ont pas le droit de grève, ils n’ont pas le droit de manifester… ils doivent obéir. Alors ma mère… mon père et ma mère étaient jurassiens, ils étaient séparatistes, mon père ne pouvait pas s’exprimer puisqu’il était fonctionnaire. Par contre ma mère, elle avait le droit. Et elle disait toujours: «Moi je suis mariée à un homme, mais je ne suis pas mariée à l’armée.» Donc elle nous a inculqué, si vous voulez, cette façon de contester, de ne pas obéir aveuglément à tout, à tous les règlements. Ça je l’ai hérité de ma mère et aussi de mon grand-père qui a vécu la guerre et qui sait très bien que les lois sont là pour être détournées. D’ailleurs tous les avocats de la terre fonctionnent sur ce principe; ils trouvent tous la faille pour justifier les faits répréhensibles, que ce soient les meurtres, que ce soient les vols, que ce soit n’importe quoi. Et l’anarchiste («soft», précise-t-il) en lui de s’emporter…

Nul doute que la désobéissance marque la vie de ce personnage créatif toujours prêt à explorer les limites du possible. Ne se laissant pas rebuter par les prises de risques, il brave les interdits en mettant au point une méthode de saut à l’élastique depuis une grue! Désobéissant avec constance, il introduit au début des années 1970 à Genève le vol en aile Delta, alors totalement interdit, d’abord en sautant d’une butte à Vésenaz, puis, bientôt, en s’élançant du haut du Salève ! Il finit par en faire un vrai métier explorant la gamme des engins volants non motorisés, développant et enseignant le vol en deltaplane, puis du parapente ou en ULM.

Le Domaine des Tournettes: au Pays de Lewis Carol

Sur un terrain, qui a servi de piste d’atterrissage pour des ailes delta, des parapentes et autres ULM, dont Lachat fut l’inventeur et incontournable chef d’orchestre au pied du Salève, ont surgi depuis les années 1980 des constructions de tout type, notre homme s’étant plus récemment employé à accueillir, transformer ou construire des mobiles homes et diverses structures architecturales. Les premières installations furent sa propre maison, puis le clubhouse du centre d’ailes Delta et de parapentes, où les amateurs pouvaient se retrouver après l’exercice pour discuter et boire un verre. Lachat nous livre «Quand j’ai arrêté d’utiliser mon terrain d’atterrissage, eh bien je me suis dit, je vais m’amuser à construire.» Tout porte à croire que la notion de divertissement est au centre des activités que mène Lachat sur son terrain: divertissement compris dans son sens étymologique de «di-vertere» à la fois comme détournement, puis comme amusement. En effet le parc Lachat est le lieu même où s’épanouissent pour une seconde vie des objets souvent remployés et détournés de leur destination d’origine. Lachat s’en explique dans notre entretien «Comme on ne demande pas un mandat de faire une maison, donc le mandat c’est moi qui me le fais, et comme je n’ai pas besoin de faire quelque chose parce que je suis déjà logé, dès qu’on me donne un objet j’essaie de l’utiliser et ça me force à faire quelque chose. Là où vous m’avez vu toute à l’heure, c’est parce qu’on m’a donné des caillebotis et que j’ai eu l’idée de faire un pont pour aller là-bas.»

Au fond de la cour d’entrée de cet étonnant monde une énorme horloge, qui évoque la montre du lapin d’Alice au Pays des merveilles,2 flanque la façade du logis du maître de céans, lequel résulte d’un agglomérat à base de containers. Une grande enseigne indique la raison sociale du propriétaire LACHAT construction Sarl. Généraliste en bâtiment. On accède à l’étage de la demeure, soit par un escalier en caillebotis, soit par une plateforme actionnée grâce à un système hydraulique, faisant office de monte-charge ou monte-personne. Je suis reçue dans la vaste salle à manger avec cuisine équipée qui ne distingue pas absolument de celle d’un logement conventionnel.

La visite commence toutefois par un tour de l’extérieur du domaine où sont installées diverses structures, des «sculptures habitables» comme se plaît à dire Lachat, souvent de la récupération, une manière de «sauver le patrimoine» ou de le réinventer. On pourrait s’être réveillé chez Lewis Caroll, ou arpenter un musée d’architecture vernaculaire ou encore s’être perdu sur les sentiers de la république indépendante de Christiania (DK). En ce lendemain de tempête où je visite les lieux, des branchages jonchent le sol, mais les constructions, pour précaires qu’elles puissent sembler, ont tenu bon. En bonne place se dresse surélevée par un poteau métallique, la «Bulle Pirate» qui a fait la réputation de Lachat.

L’inventeur m’explique ensuite le remploi d’un morceau de décor de fête installé pour le 225e anniversaire de l’invention de Carouge sur la place de Sardaigne, sa mise en couleur, son intégration dans une construction nouvelle. Il me montre une yourte disponible comme logement d’appoint, une hutte scandinave revisitée, la Mud fired House de Jacques Kaufmann, un dôme de terre cuite récupéré d’une exposition qui s’était tenue au Musée Ariana en 2019 et customisée d’une armature métallique accessible par quelques marches et qui forme belvédère, une structure triangulée à la Buckminster Fuller, une cabane dans les arbres, etc. Lachat m’emmène jusqu’au jardin installé pour partie dans une sorte de serre abritant les plants de tomates et les herbes aromatiques, pour partie en plein air, et qu’une résidente de la «colonie Lachat» cultive et fait prospérer. En ce moment lui-même s’active à construire au fond du parc une tiny house dont les plans sont dans sa tête. «Pour ce genre de construction, dit-il, on n’a pas vraiment besoin de plans.»

Je venais aux Tournettes pour questionner l’auteur de la fameuse Bulle Pirate qui défraya la chronique en 1970 et, à propos de laquelle, son auteur conserve des classeurs de coupures de presse d’époque, rassemblées alors par son épouse. Et je découvre que la Bulle est l’arbre qui cache la forêt! C’est tout un univers auquel je ne m’attendais pas qui escorte et accompagne ladite Bulle, laquelle dresse bravement dans le domaine son demi-siècle d’existence, juchée sur une structure métallique pour évoquer sa situation suspendue d’origine, comme lors de son installation contre la façade de l’immeuble du Grand-Saconnex. On y trouve aussi une réplique réalisée plus récemment par Lachat qui pensait ainsi répondre à la demande toujours pressante des gens de musée et des organisateurs d’expositions. Toutefois le fétichisme aidant, c’est toujours la Bulle d’origine qu’on réclame, un peu sale et vieillie, certains diraient patinée, tandis que sa copie reste au placard dans le parc des Tournettes!

La Bulle, de la Théorie à la Pratique

C’est à l’âge de 23 ans que Lachat, fraîchement émoulu du Tech (alias Technicum) de la rue de la Prairie à Genève et «sans complexe», se fait connaître en installant sur la façade du premier immeuble moderne du Grand-Saconnex, situé à la rue François Lehmann, une excroissance, surnommée Bulle Pirate, pour agrandir le petit appartement dans lequel il est à l’étroit depuis la naissance de sa fille. La crise du logement atteint un paroxysme à Genève en ce temps-là et Lachat a beau chercher un logement plus grand, il ne se présente aucun «Pour ma fille qui est née en 1970, je commençais à courir dans les régies pour avoir un appartement plus grand et chaque fois que j’allais demander ils n’avaient rien à me proposer alors un jour je me suis décidé à résoudre mon problème moi-même. A l’époque il y avait des Suisses comme moi qui allaient manifester sur la Plaine de Plainpalais pour dire «Je suis un soldat suisse et je n’arrive pas à trouver de logement» et puis ils allaient manifester avec leur barda militaire et puis moi, au lieu de manifester de cette manière, j’avais envie de proposer quelque chose et j’ai proposé justement une cellule habitable que l’on rajoute à sa maison. Ça faisait suite à une idée d’un concours d’architecture qu’on avait fait avec Pascal Häusermann (1936-2011) où on proposait justement des structures où on accrochait des cellules. Alors ça c’était au niveau théorique, et je me suis dit on va le réaliser. Alors en effet j’ai fait ce qu’on avait prévu en théorie, voilà justement, j’avais à l’époque vingt-trois ans, j’avais aucun problème éthique, parce que les gens qui ont fait une école d’architecture et qui construisent ils n’osent pas faire ça, tandis qu’un jeune à vingt-trois ans, on n’a aucun complexe et puis on y va quoi!»

3 “Aix-les-Bains: Hommage à Jean-Louis Chanéac, architecte insurgé exhibition” by Marion Feutry, accessed on 9 October 2024.

4 Les Trente Glorieuses recouvrent la trentaine d’années de prospérité économique qu’ont connu les pays européens après la Seconde Guerre mondiale. L’expression est tirée de l’ouvrage de Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses ou la Révolution invisible de 1946 à 1975, Paris, Fayard, 1979.

5 L’Escalade est une fête genevoise qui commémore la victoire remportée par les Genevois sur les Savoyards lors de l’assaut des fortifications la nuit du 12 au 13 décembre 1602. A cette occasion, célébrée par un cortège historique, il est d’usage de se déguiser.

Ayant entendu parler des recherches de Pascal Häusermann concernant notamment l’habitat cellulaire en polyester ou en béton projeté, Lachat va à sa rencontre et entame une collaboration qui durera une dizaine d’années. A ce moment Häusermann a déjà réalisé la maison de son père à Grilly (1959), la maison de Pougny (1960) et le motel de l’Eau-Vive près de Raon (1966-1967). Il est ensuite occupé à construire avec sa femme, Claude Costy, sa propre maison de Minzier, La Ruine (1968-1969), des bulles en voiles de béton au-dessus des ruines d’un presbytère, aujourd’hui monument classé.

L’idée de produire une extension extérieure sous forme d’une bulle en polyester armé de fibre de verre et isolée intérieurement de polyuréthane projeté fait suite à un concours auquel Lachat participe avec Häusermann. Mais surtout au Manifeste d’architecture insurrectionnelle du Grenoblois Chanéac, lu pour la première fois en public le 4 mai 1968 à l'Académie Royale d'Architecture de Bruxelles. Il y décrit un processus d’appropriation par les usagers de leur logement en ajoutant des éléments ventouses aux immeubles qu’ils habitent: «Lorsque je contemple un grand ensemble, j'ai envie de donner à ses habitants les moyens de réaliser leurs rêves et leurs besoins du moment en mettant à leur disposition ou en leur donnant les moyens techniques pour réaliser clandestinement des cellules parasites. Ils pourraient agrandir leur appartement à l'aide de cellules ventouses fixées sur les façades. Les enfants pourraient recréer l'univers poétique des greniers d'autrefois en implantant des cellules sur les terrasses des immeubles. Des chambres d'amis apparaîtraient sur les pelouses. On assisterait à l'explosion d'une architecture insurrectionnelle.»3 La Bulle Pirate va être l’occasion de mettre en pratique ce qui n’est encore qu’une utopie, celle d’une cellule habitable accrochée à une structure.

Le jeune Lachat, mû par une grande curiosité, est prêt à expérimenter «J’avais envie de faire des choses avec toute la technologie qui apparaissait ; c’était les années septante. C’est après Mai 68 … il y a eu un éclatement on a remis en question tout ce qui existait. Mai 68 !» Dans l’effervescence d’innovation des Trente Glorieuses,4 durant lesquelles Lachat se félicite d’avoir vécu, le champ est libre pour de telles exploits constructifs, totalement proscrits par le carcan des normes et règlements actuels, comme il le précise «Tout ce qu’on voulait faire, c’était beaucoup en polyester, en plastique, en polyuréthane, des matériaux qui aujourd’hui sont quasiment interdits. […] la Bulle Pirate, c’est du polyester armé de fibres de verre comme on construit un bateau ou un canoé, c’est la même chose. Et l’isolation, alors j’ai eu le privilège de connaître aussi un chimiste qui travaillait pour la NASA sur les boucliers thermiques des satellites qui rentraient dans l’atmosphère et c’est comme ça que j’ai eu l’occasion de pouvoir projeter du polyuréthane. C’était tout récent.»

Dans l’atelier d’un ami mécanicien, Lachat confectionne sa bulle modelée sur la matrice d’un ballon météorologique gonflé avec un aspirateur qui fonctionnait à l’envers. Un coiffeur de Payerne détenait l’exclusivité de ces ballons qui se vendaient 40.- frs la pièce. Le tissu de fibres de verre, ensuite enduit de résine au pinceau, était appliqué à même le ballon. Il suffisait de patienter le temps du séchage puis de projeter à l’intérieur l’isolation. C’est dans ce ventre de polyester blanc doublé de polyuréthane ocre, que fut installé le berceau de la fillette nouvellement née en mal de chambre d’enfant. Une photographie d’époque immortalise les deux parents auprès du berceau garni de tissu à volants en carreaux Vichy, assorti à celui des rideaux qui obscurcissent le grand hublot qui tient lieu de fenêtre.

Faire le Buzz

Le récit fait par Lachat de l’installation de la Bulle Pirate tractée à bras d’homme sur un char à bois en pleine rue le soir de l’Escalade est truculent.5 On découvre comment notre homme sait faire le buzz «Je savais que le soir les flics, ils étaient tous en ville, parce qu’il y avait des gens qui profitaient d’être masqués pour aller cambrioler des bijouteries ou autre chose. Alors je savais que les flics n’étaient pas là. Je savais que je faisais quelque chose d’interdit, que j’aurais une amende. Et je me suis dit: Ça va être un scoop; ça j’imaginais bien.» J’ai contacté tous les médias, la radio, la TV… et puis je leur ai dit j’ai un scoop. Et je vous donne le scoop si vous me payez l’amende. Par contre le scoop je ne leur avait pas dit ce que c’était alors ils ne savaient pas si ça allait être une amende exorbitante ou autre. Donc il n’y avait personne qui s’est mouillé. Alors pour finir je l’ai dit à tout le monde à la radio, à la TV, à la Tribune, à la Suisse encore à l’époque, et en effet je les avais convoqués pour 5 heures je crois c’était le 11 décembre 1970 à 5 heures je crois, et ils sont tous venus, la radio, la TV, les journaux et ils m’ont même aidé dans le sens qu’il faisait déjà nuit à cette époque, en hiver, le copain qui devait m’apporter la corde c’était Pascal lui-même et il est toujours en retard. Et on a tiré… J’avais été voir ma voisine du haut au troisième; je lui ai dit j’ai un meuble qui ne passe pas par la cage de l’escalier. Alors ça serait bien si on pouvait le tirer depuis en haut chez vous. Alors elle m’a donné ses clefs. C’était une fille qui travaillait aux Nations Unies, une vieille fille (rires) enfin, une célibataire pardon! J’ai installé une poulie etc. ça été une péripétie aussi… Ce que j’avais installé, ça s’est tout tordu. Parce que je n’avais pas prévu que pour monter 200 kilos, il faut tirer aussi avec 200 kilos, donc pour finir ça fait 400 kilos de traction et la potence que j’avais faite s’est complètement vrillée et heureusement j’avais un bon copain charpentier qui m’a dit on va continuer… enfin bref on a monté ça avec l’aide des journalistes de la télé qui nous éclairait la façade avec leurs projecteurs. Ils filmaient en même temps… À 6 heures le soir elle était juste accrochée avec des serre-bois et à 7 heures on se regardait à la télévision et on voyait ce qu’on avait fait une heure avant.»

Lachat profite des fêtes pour mettre en place sa Bulle Pirate sachant qu’aucune mesure ne sera prise pendant les vacances qui vont suivre. C’est à la rentrée des classes que le Conseiller d’état Ruffieux l’appelle pour le sermonner et lui annoncer qu’on va lui trouver un logement au Lignon. Il déménage trois semaines plus tard en emportant sa Bulle, dans laquelle tout le Conseil d’état s’est au préalable retrouvé pour boire un verre, et l’installe sur un terrain où son père avait des ruches.

Désobéir : l’Architecture du Libre Choix

Ici et là surgissent dans l’immédiat Après-Guerre des mouvements de jeunes architectes qui réclament plus de liberté pour les usagers et plus d’inventivité chez les maîtres d’oeuvre. Le terreau est prêt pour accueillir la désobéissance. En 1965 se constitue le GIAP (Groupe international d’architecture prospective) sous la conduite de l’écrivain et critique d’art Michel Ragon et auxquels se joindront notamment Pascal Häusermann (1936-2011), Claude Costy, Jean-Louis Chanéac (1931-1993), au sein de tout un groupement d’intellectuels et d’architectes qui ouvrent la voie à l’utopie prospective pour bousculer les pratiques rétrospectives ou de modernité radicale. C’est la banalité de la production architecturale d’après-guerre et le gaspillage du territoire au vu de l’accroissement démographique qui sont dénoncés. On y déplore les «millions de mètres cubes coulés selon des préceptes simples (pour ne pas dire simplistes)» dont Chanéac dira qu’il s’agit d’un «ordre nouveau en train de s’étaler comme le sirop d’un pâtissier». Ragon prend fait et cause pour les contestataires et porte aux nues leurs propositions: le projet curviligne de Chanéac pour Beaubourg (1971) représente à ses yeux l’assassinat du «fameux angle droit, tarte à la crème de l’architecture contemporaine»! Le jeune Lachat baigne dans cet environnement réfractaire aux règlements et aux normes qui nivellent le territoire tout en l’épuisant et profitera de ce bouillonnement intellectuel pour passer à l’acte. Ce faisant Häusermann continue de mettre au point ses prototypes de cellules habitables jusqu’aux Domobiles en plastique préfabriquées dont il tentera sans succès l’industrialisation. Le germe de la blobitecture fertilisera les recherches ultérieures d’architecture biomorphique.

A la croisée de ce quête architecturale innovante à base de capsules d’habitation surgissent simultanément au Japon la Nagakin Capsule Tower (1970-1972) de Tokyo par Kisho Kurokawa, un emblème du mouvement connu sous le nom de métabolisme et «l’urbanisme multicoque» de l’architecte d’origine lyonnaise, Daniel Grataloup, alors installé à Genève. Contrairement aux projets de ce dernier dont les maquettes figurent en bonne place au MOMA, la tour japonaise constituée de deux mâts en béton armé auxquels venaient s’accrocher les capsules préfabriquées équipées d’une technologie de pointe pour l’époque a réellement vu le jour à Ginza avant d’être démantelée en raison de son obsolescence.

Le besoin de s’affranchir des règles en imaginant d’autres façons de vivre et d’évoluer rencontrera tant en Suisse qu’en France l’opposition de l’administration. Si bien qu’à l’exception de l’expérience menée au centre-ville de Douvaine, ce seront principalement des résidences privées qui verront le jour. Le comble de l’exubérance sera peut-être atteint dans quelques demeures de la Riviera française édifiées par le Hongrois Antti Lovag (1920-2014), comme le palais-bulle de Pierre Cardin (1975) ou par Jacques Couëlle (1902-1996), lesquelles sont évoquées par Lachat au cours de notre discussion.

A y réfléchir de plus près c’est toute l’anarchitecture des pays en voie de développement, où le contrôle est faible, qui enfreignent sans trop de crainte de représailles les règlements et pratiquent au quotidien l’architecture évolutive. Des excroissances de toutes sortes surgissent pour répondre aux besoins des habitants au fur et à mesure de l’évolution de la famille : cagibis en toiture, balcons devenus pièces d’appoint, extensions spontanées … quand ce ne sont pas des quartiers entiers d’architecture informelle ou de bidons-villes ! Cette implication des usagers, telle que Lachat l’a mise en pratique à travers la Bulle Pirate, cette liberté d’intervenir sur leur logement, c’est ce que des architectes contemporains comme le prix Pritzker Chilien, Alejandro Aravena intègre dans le projet des demi-maisons de Quinta Monroy (2003). Charge à l’usager de s’approprier l’achèvement selon ses besoins.

Message aux Jeunes Architectes : Révoltez-Vous!

La désobéissance de Lachat est un tant soit peu bridée par l’amour de l’art et une sincère ambition organiciste. Celui qui fut un épigone au deuxième degré du GIAP porte plus généralement son admiration à des architectes artistes animés d’une volonté de produire une architecture évolutive en phase avec la nature ou s’inspirant de ses principes. Il cite en particulier l’Autrichien Friedensreich Hundertwasser (1928-2000) ou le Suisse Christian Hunziker (1926-1991), auteur des Schtroumpfs à Genève «Je m’identifie à celui qui a construit en Autriche, à Vienne là […] Hundertwasser. J’ai connu à l’époque Christian Hunziker, oui alors je m’identifie à lui aussi, une architecture évolutive et puis près de la nature. Hundertwasser, moi je dis je fais des sculptures habitables, faire des sculptures voyez j’adore les artistes, voyez cette sculpture là… oui c’est des nids à poussière… eux ils se réalisent, ils s’expriment, elles ne servent qu’a l’œil, moi je crée des volumes intéressants de l’extérieur et à vivre de l’intérieur.» Nul doute qu’à ses yeux la valeur d’usage de l’architecture justifie les intentions artistiques qu’il prête à ses propres réalisations rejoignant en cela l’esprit de la gousse habitable que Chanéac s’était construite sur les hauts d’Aix-les-Bains et qui est aujourd’hui reconnue en tant que monument classé. Sculpter et modeler l’habitat au plus près de ses usagers demeure sans doute pour un architecte l’un des vrais mobiles pour continuer de désobéir au carcan normatif et administratif qui régit le monde.

Lorsqu’on demande à Lachat quel conseil il donnerait aux jeunes architectes d’aujourd’hui, il s’exclame «Les pauvres! Ils ne peuvent rien faire! Avec toutes ces normes et toutes ces règles!» Puis il reformule la question «Quel message laisser aux jeunes architectes face à la pléthore de règlements? Plaider pour l’exception, la dérogation chaque fois qu’il y a une innovation!» On comprend à son ton qu’il faudrait tout envoyer aux orties. A ses yeux, même le pamphlet de Stéphane Hessel, Indignez-vous! (2010) ne va pas assez loin. Les architectes doivent être dans l’action «Il faut réagir et ne pas se laisser faire.» «Révoltez-vous !», conclut-il.

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19.10.2022Fala

Fala meets Siza

Fala and Álvaro Siza are bound by origins but separated by age. In a personal encounter, the 89-year-old Pritzker Prize winner talks about that which is still reflected in Fala's own work today. lesen
22/06
Fala meets Siza
Artikel 22/05
22.9.2022Anna Beeke

Trailer Treasures

Within mobile home parks, Anna Beeke encounters a clear desire for individualized place. In her photographs she shows how prefabricated units are the same, but different. lesen
22/05
Trailer Treasures
Artikel 22/04
20.8.2022Mario Rinke

Offene Meta-Landschaften

Mario Rinke plädiert für Tragwerke, die nicht für eine Nutzung, sondern aus dem Ort heraus erdacht werden. In diesen Meta-Landschaften können sich Architekturen episodenhaft ereignen. lesen
22/04
Offene Meta-Landschaften
Artikel 22/03
1.7.2022Virginia de Diego
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Reductio ad absurdum

Through deliberate destruction a former bunker can be preserved. Its relevance is created out ouf its absurdity. lesen
22/03
Reductio ad absurdum
Artikel 22/02
1.7.2022Jerome BeckerMatthias Moroder

The balance of chaos and structure

In conversation with Jerome Becker and Matthias Moroder, Marc Leschelier emphasises his aversion to functionalism and stresses the importance of architecture as a form of expression. lesen
22/02
Chaos and Structure
Artikel 22/01
1.7.2022Gerrit Confurius
Teatro di Marcello, Rom, Giovanni Battista Piranesi (1720-1778), ca. 1757

Permanenz als Prinzip

Gerrit Confurius erinnert sich an das Ende der gedruckten Ausgabe von Daidalos und empfiehlt das Prinzip der Permanenz als Strategie auch für die zukünftigen Aufgaben der Architektur. lesen
22/01
Permanenz als Prinzip